Sommes-nous vraiment si intelligents ?
Yves-Alexandre Thalmann
Le saviez-vous : plus de 63% des gens considèrent qu’ils sont plus intelligents que la moyenne ? Est-ce pour autant avantageux de se considérer comme intelligent ?
Des résultats inattendus
Pour étudier les effets de cette conviction, les chercheurs ont imaginé des expériences aux résultats surprenants. Que se passe-t-il lorsqu’on suggère chez quelqu’un l’idée qu’il est intelligent ? Les études réalisées montrent qu’il va davantage adopter des conduites qui ne remettent pas en question ce postulat. Ainsi, les chercheurs ont demandé à leurs sujets de résoudre des casse-tête plutôt faciles. Ils ont ensuite félicité certains en mettant en avant leur intelligence et d’autres les efforts consentis. Puis ils ont proposé une nouvelle série de casse-tête, cette fois plus exigeants, voire insolubles. Ils ont alors constaté que les personnes dont on venait de relever les efforts persévéraient plus longtemps que celles que l’on avait qualifiées d’intelligentes. Les premières étaient même prêtes à emporter les énigmes à la maison pour tenter de les résoudre durant leur temps libre.
Pourquoi un tel effet ? Il semble que lorsqu’on souligne les efforts de quelqu’un, son image n’est pas touchée, si ce n’est qu’il se perçoit momentanément comme quelqu’un de persévérant. Il va donc continuer à se comporter comme il vient de le faire et poursuivre ses efforts. Par contre, lorsqu’on utilise le qualificatif intelligent, c’est l’image même de la personne, ce qui la définit de manière intrinsèque, qui est mise en avant. Si elle échoue avec les nouveaux casse-tête, cela remet instantanément en question cette qualité qu’elle se plaît à détenir. Ceci car l’intelligence est perçue comme une faculté que l’on possède ou non : dans la pensée populaire, si l’on n’est pas intelligent, c’est que l’on est bête ! Il faut donc éviter tout ce qui pourrait donner à penser que l’on n’est pas intelligent. Dès lors, autant ne pas vraiment s’impliquer dans une tâche ardue que de risquer de ne pas y arriver et donc de paraître… stupide.
Conséquences sur les situations d’apprentissage
Il a également été observé dans ce type d’expériences qu’une fois qualifiés d’intelligents, les individus seront moins enclins à demander des conseils ou à solliciter de l’aide, ce qui signifierait alors qu’ils ne sont pas si intelligents, voire par intelligents du tout. De la même manière, face à un choix de tâches, ils éviteront les plus difficiles qui risqueraient de relativiser cette image d’intelligence s’ils venaient à échouer. De peur de paraître soudainement moins intelligents, ils vont éviter de montrer leurs doutes ou leurs difficultés, voire de s’engager dans des activités où ils pourraient commettre des erreurs, de sorte à préserver leur belle image. Ils vont notamment essayer de se soustraire aux situations d’apprentissage dans lesquelles ils ne sont pas à l’aise, propices aux tâtonnements et erreurs, celles-là même qui leur permettraient d’accroître leurs connaissances et leurs compétences.
Ce mécanisme visant à préserver l’image que se fait la personne d’elle-même peut mener à des comportements d’auto-sabotage : plutôt ne pas s’investir à fond dans une activité que de risquer de ne pas la réussir avec brio et apparaître moins intelligent ! Et ainsi bénéficier d’excuses pour expliquer de modestes résultats : s’arrêter en pleine compétition sous un prétexte quelconque, oublier volontairement son matériel le jour d’une épreuve, ne pas se présenter à un concours, etc. Les stratégies permettant d’éviter la remise en question sont nombreuses.
Le risque du qualificatif
Il apparaît ainsi que le qualificatif intelligent peut constituer un piège à lui seul : pour ne pas risquer de le mettre en péril, les gens concernés sont prêts à adopter des comportements contre-productifs, c’est-à-dire qui ne permettent pas de développer leurs connaissances ou leurs compétences, donc d’augmenter leur intelligence. Certains de ses agissements sont même communément catalogués de stupides au sens populaire du terme : rester bloquer sur une tâche plutôt que de demander de l’aide, ne pas apprendre en sollicitant des conseils de la part d’experts, éviter de choisir des tâches difficiles mais riches en enseignements, ne pas s’investir dans des activités pour éviter de paraître emprunté, voire carrément s’auto-saboter pour ne pas être confronté à la réalité.
Parce que l’intelligence est à ce point valorisée dans nos sociétés, de nombreuses personnes sont davantage préoccupées à paraître intelligentes que de renforcer leur intelligence et développer leurs aptitudes. Plutôt que de se mettre à l’épreuve au risque de commettre des erreurs, de devoir solliciter aide et conseils, elles en viennent à sacrifier des opportunités d’apprentissage et donc à se conduire de manière… stupide.
Pour approfondir la réflexion :
Yves-Alexandre Thalmann : Pourquoi les gens intelligents prennent-ils aussi des décisions stupides ?, Mardaga, 2018.
Séminaire sur le changement (avec Olivier Jorand) :
Docteur en sciences naturelles
Professeur de psychologie au Collège St-Michel à Fribourg (niveau pré-universitaire)
Auteur (plus de 50 ouvrages) : la psychologie positive et le bonheur, le fonctionnement du cerveau et de l’esprit (sciences cognitives), la communication et ses aspects obscurs (mensonges, manipulation, etc.), les relations de couple et l’intimité.