
Le nouveau rôle du manager
La littérature managériale est riche et inégale dans sa qualité. Chacun a son opinion sur le management, et soyons clairs, la plupart du temps les opinions exprimées ne s’élèvent pas au-dessus de la conversation de comptoir. Cela dit, pour élever le débat il y a les publications académiques et les tendances de fond qui s’imposent comme des vérités communément acceptées.
Des unes et des autres s’imposent quelques thématiques assez incontournables. Une thématique incontournable est un sujet qui a fait l’objet de recherches et de publications scientifiques et qui est confirmé par sa confrontation avec la pratique dans un nombre significatif de cas et de situations diverses.
Evolution ou avancée de la recherche
Ces thématiques qui surnagent appartiennent à deux grandes catégories de nouveautés managériales : celles qui sont le résultat passager d’une évolution (1) et celles qui proviennent des avancées de la recherche (2).
(1) Depuis la fin du 19ème siècle et l’invention de l’industrie, la question de la gestion et de l’optimisation des moyens de production est au centre des réflexions des entreprises. De l’organisation scientifique du travail de Taylor au fordisme, jusqu’au toyotisme du modèle japonais des années 1960, en passant par l’école des relations humaines jusqu’à l’invention du management en 1954 par Peter Drucker dans son livre « The Practice of Management », la science managériale n’a jamais cessé d’évoluer. Au fur et à mesure du développement de la performance des entreprises, leurs organisations se sont affinées, sophistiquées vers toujours plus de performances. Pour faire fonctionner ces organisations de plus en plus complexes sont apparus des managers dont le métier était de gérer les moyens de production. A chaque étape de l’évolution des organisations a correspondu une étape de l’évolution du rôle des managers. Ces évolutions ont été et sont toujours le reflet des époques et des attentes qui pèsent sur eux.
(2) Les innovations managériales issues de la recherche sont finalement assez peu nombreuses. J’entends mes collègues chercheurs en sciences sociales pousser ici des cris d’orfraie. Ce que je veux dire c’est que les innovations réelles qui sont le fruit d’avancées dans d’autres domaines de la science et qui peuvent être transposés dans la réflexion sur le management sont assez rares finalement. Parmi celles-ci figurent en bonne place les apports récents des neurosciences qui nous ouvrent en balbutiant la connaissance du fonctionnement de notre cerveau. La psychologie et la sociologie s’en emparent, et bâtissent sur ces bases de nouvelles théories. Une étape assez peu commentée et qui aura selon moi eu au cours de ces dix dernières années le retentissement le plus grand est l’article publié dans Science par Anita Williams Wooley et consorts en 2010 et intitulé « Evidence for a Collective Intelligence Factor in the Performance in Human Groups ». Fruit d’études menées par les laboratoires en sciences cognitives de Carnegie Mellon University et du MIT, cet article confirmait ce qui depuis longtemps était une hypothèse de travail à savoir la possibilité de faire émerger et de mesurer de l’intelligence collective au sein d’un groupe, qui dans certaines conditions atteint un niveau de performance dépassant les capacités de ses membres. Cet article posa le socle académique qui depuis plus de dix ans érige la collaboration, le travail de groupe, les équipes projets, les itérations avec les clients au centre de la réflexion et de la pratique organisationnelle en entreprise.
Complexité du rôle
Le rôle attendu des managers n’a cessé d’évoluer depuis que le management existe. Pendant des décennies ces évolutions ont été progressives, permettant à différentes générations de managers de cohabiter. Depuis une vingtaine d’année le rôle des managers s’est enrichi de dimensions tellement nouvelles qu’on est probablement sorti d’une dynamique de nouveautés incrémentales pour se retrouver de plein pied dans un modèle nouveau par sa nature même. La moindre complexité n’est pas que le manager continue d’assumer son rôle traditionnel, tout en devant assumer l’exigence de collaboration, d’autonomie, de créativité qui pèse sur les équipes. La profondeur et la nature des attentes qui pèsent aujourd’hui sur les managers permettent d’affirmer que ce qui est attendu par les entreprises les plus performantes ce sont des managers dotés d’un nouveau rôle.
- Diplômé de Sciences-Po Paris et titulaire d’un MBA (New-York University)
- Christophe Clavé occupe depuis plus de 20 ans des responsabilités de dirigeant en entreprise et préside aujourd’hui une société d’investissement et de conseils.
- Professeur de stratégie & management au sein du groupe INSEEC U, Christophe Clavé a également enseigné la stratégie à HEC Paris.
- Auteur du livre « Les voies de la stratégie» publié aux éditions ESKA (2020) ainsi que de Agilité Management Accompagnement, Editions du Panthéon, publié en janvier 2018, sur l’accompagnement des dirigeants en entreprises agiles.
- Auteur d’un chronique hebdomadaire dans l’AGEFI